VERS L’ECLATEMENT DE LA SNCF ?

Depuis un certain temps, nous nous faisons l’écho des dangers de l’économie de marché telle qu’elle se développe, impulsée par les ultra libéraux avec comme seul credo : dégager un maximum de profits. Chacun de vous à travers les médias, a pu se faire une idée des effets dévastateurs.

Face à cela nos préoccupations cheminotes peuvent paraître marginales et pourtant…

Après nos camarades du privé, matraqués par la productivité, muselés par les menaces de délocalisation et de chômage, le service public est visé : ce dernier bastion social reste une ineptie intolérable pour nos énarques dirigeants. Pensez donc, des pans entiers de l’économie au service du social… La notion de rentabilité sociale n’est pas de mise et seule peut être prise en compte la rentabilité financière. Après La Poste, France Télécom, Air France, EDF-GDF, vient le tour de la SNCF.

Mais attention, ils ne sont pas fous et le souvenir de 95 est encore présent. Alors la patte griffue a mis un gros gant de velours…

Ils ne toucheront pas au statut, Cap Client n’existe plus… On nous demande gentiment de nous réorganiser, dans la continuité de notre mission de service public, et mieux en servant de standard européen… La mariée est trop belle !

Réalités

La direction nous tient des discours lénifiants et rassurant, mais sous couvert d’application de directives européennes, aiguillonnée par le gouvernement, elle vient d’accélérer toutes les réformes. C’est un feu d’artifice de gros dossiers de réorganisations, dont nous craignons que le bouquet final soit l’éclatement total de l’entreprise. A la direction qui nous accuse déjà de crier au loup sans raison, nous opposons notre méfiance syndicale acquise au fil des coups tordus et renforcée à cette occasion par son double langage et l’attitude gouvernementale.

Mais tout va être en place dans quelques mois et nos dirigeants politiques sont les plus libéraux depuis longtemps.

La SNCF n'est pas privatisable en l'état, tout le monde le sait. Et son éclatement en plusieurs filiales est le scénario le plus probable pour remettre le transport ferré sur le marché privé : une fois les filiales dégagées de leurs "problèmes" de statut, on peut les orienter plus facilement vers un fonctionnement privé et il suffit qu'une promesse de rentabilité se profile pour pouvoir privatiser. Cela a commencé par le SERNAM (déjà la CFDT était en première ligne alors que la plupart ne se sentait que peu concerné…), ensuite ce fut le tour des Télécoms à travers Télécom Développement, et aujourd'hui, c'est Eurostar, premier segment du TGV qui devient filiale de droit privé. N'oublions pas non plus la création de RFF qui, sous le couvert de désendetter la SNCF, à permis de sortir toute l'infrastructure ferroviaire de notre entreprise.

Et le danger vient aussi de nos propres filiales qui commence à sous traiter nos activités (VFLI).

Souvenez-vous :

Le SERNAM

Nous avions déjà été les seuls à pressentir la véritable orientation de la réforme engagée : sa conclusion par la filialisation nous a donné malheureusement raison.

RFF

A sa création, nous avons dénoncé ce tour de ce passe-passe. En s’accaparant de l’infrastructure en contre partie d’absorption de la dette d’Etat, nous avons dit danger… Aujourd’hui, RFF n’est qu’une pompe à fric qui grève les comptes, via les péages, et n’assument que partiellement ses obligations d’entretien. Pour autant la dette n’est pas épongée. Résultat, les cheminots sont nouveaux dans le collimateur des médias qui se gargarise des mauvais résultats (tronqués artificiellement) annoncés.

Eurostar

Quelques jours après que la direction nous ait annoncé qu’il n’était pas question de privatiser la presse nous apprenait l’inverse… qui parlait de transparence ? Comment ne pas voir le début d’une stratégie consistant à commencer par les lignes de prestige frontalière (Thalis, Lyria, Artésia, …) plus localisées, déjà internationales et donc moins porteuses de conflits importants. Mais à terme, sans réactions, ce sera le TGV Med (déjà dans la presse, on lit l’impatience de certains de voir arriver 2006 et l’ouverture à la concurrence du trafic voyageur.). Le démantèlement commence…

Les chemins de fer anglais

Nous ne rabâcherons jamais assez cet exemple. Pourquoi nos dirigeants pourtant friands de REX (retour d’expériences… lorsque cela les arrangent) refusent d’admettre le désastre de la privatisation du rail anglais ? Mais là, c’est notre entreprise et nous ne laisserons pas faire. C’est vrai qu’ils ne sont pas non plus mauvais dans le domaine des fiascos… rappelons-nous Socrate.

L’actualité

Ce sont tous les dossiers de réorganisation applicables au 01.01.2003, qui touchent quasiment tous les services :

- Création de l’établissement à vocation Fret et sa zone locale

- Mise en place des UO par activité dans les EEX

- Reforme des PC

-" Modernisation " de la traction

- Les DPX dans les EVEN (c’est fait)

Tous les dossiers ont fait l’objet, ou le ferons, d’une présentation sur les sites, avec consultations au CHSCT et viendront avant la fin de l’année au CE. Pris isolément et présentés comme une recherche d’amélioration de la production afin d’être européennement incontournable, cela semble louable et peut amener, sur un site, une adhésion des agents. Pourtant trop de flou, de non dits, absences de chiffrage (investissements, moyens humains et matériels) et de perspectives d’avenir, nous laissent sceptiques sur la finalité.

Tout s’imbrique dans un schéma directeur qu’il nous faut deviner mais qui ne semble pas aller dans le sens d’un grand service public ferroviaire.

Les quelques points qui nous font douter

Le fret

L’organigramme présenté ne concerne que la ligne hiérarchique. Pour les agents qui font la production : rien. Vu l’importance du projet en volume rien de chiffré sur les investissements en moyens humains et matériels. Rien sur le fonctionnement de la zone locale. Enfin, les dernières déclarations de Rol-Tanguy (grand patron du Fret)qui reconnaît que le débat sur la filialisation du Fret a bien lieu, nous confortent dans notre idée : on réorganise pour privatiser plus facilement.

Les sillons

" La gestion des sillons devra rester à la SNCF ". C’était le discours de tous nos dirigeants. Le gouvernement vient de la confier à RFF qui, elle, vendra au plus offrant avec une recherche de rentabilité maximum… Parallèlement, RFF est partenaire de la création de Rail Net Europe, structure ayant pour but de commercialiser les sillons internationaux.

Les UO par Activités

Avec le REX de la Saône et Loire, la direction n’a rien prouvé. Trop de non dit et de flou (déroulement de carrière, formation, polyvalence…) rien n’est défini. Manque de cohérence et de coordination, pour preuve, l’utilité de DPX Assembleur (un nouveau métier…) Enfin, encore une déclaration : " Il y a trop de point de vente, y compris en gare ". On peut deviner les intentions. Moins de personnel au guichet, report des clients sur ligne directe, Internet, automates, agences de voyages, boutiques dans les centres commerciaux, à terme, moins de cheminots.

La traction

D’un coté, un grand débat sur la modernisation de la traction, avec en cœur de discussion une reforme attendue sur les primes qui ne doit pas faire oublier le but premier de la manœuvre : augmenter la productivité des ADC. De l’autre coté une recherche accrue de tout moyen de se passer d’agents de conduites SNCF. La direction a déjà signé des contrats avec des sociétés privées, (notre filiale VFLI, par exemple) pour des trafics sur le réseau national (Moulin Neuf – Nuits St George ; Freyming – Bouzonville). Les dernières machines Fret 27000 n’ont plus de logo SNCF sur leur belle livrée Fret… Cette volonté de sous traiter une partie du trafic présage-t-elle du fonctionnement des futures zones locales fret ?

Les PC

Ils ne sont pas en reste, ou plutôt que va-t-il en rester ? de 24 ils pourraient passer à 12 en perdant au passage la gestion des engins moteurs au profit des CCL (Commande Centralisée des Locomotives) qui ne manqueront pas d’être rattachées tôt ou tard aux activités, pardon, aux filiales…

Les EIV et Les EMM

Combien de temps, dans cette logique de séparation des activités, vont-ils encore exister ? la SNCF ou FRET ne seront-ils pas tentés de sous-traiter ces activités de maintenance soit à des filiales comme VFLI, soit par le biais de contrats avec nos fournisseurs industriels (Alsthom, …)

Les EPIC et l’Europe

La commission européenne demande à la France de retirer à EDF la garantie illimitée d’Etat dont il bénéficie. Une mesure qui fragiliserait le statut d’Epic, qui protège la SNCF, la RATP et RFF. La garantie illimitée d’Etat du statut d’Epic protège les entreprises concernées de toute insolvabilité ou faillite

Quels risques pour les cheminots ?

Pouvons-nous laisser continuer cette logique de démantèlement ? Nous attendons tous une attaque sur nos retraites. Mais que ferons-nous si, à l’inverse de 95, l’attaque est dirigée sur l’unicité de l’entreprise plutôt que notre système de prévoyance ? Le résultat attendu est le même : affaiblir les cheminots pour mieux pouvoir les remettre dans le domaine privé et libéraliser totalement le rail.

La vraie question n'est pas de se demander s'il va y avoir une attaque de nos retraites : elle aura lieu. La vraie question c'est comment cela va-t-il se passer et serons-nous prêts à contrer une attaque plus subtile que celle, de front, de 95 ? Les dirigeants politiques actuels sont les même qu'en 95, vont-ils refaire, une deuxième fois, les mêmes erreurs ? Nous pouvons en douter. Tout comme est évident leur désir de revanche. Sinon comment comprendre cette volonté de vouloir légiférer sur le droit de grève alors même que nous faisons, direction comme syndicats, des efforts dans la recherche de solutions dans la gestions des conflits sociaux ?

Nous avons en face de nous les personnes les plus déterminées à rayer les cheminots du paysage social français. Mais quelle est notre détermination ?

Toutes ces questions, nous devons nous les poser dés à présent. Si les cheminots ne trouvent pas, ensembles, les moyens de riposter, s'ils acceptent bon gré mal gré la situation qu'on leur impose, ils seront condamnés à disparaître dans les profondeurs du libéralisme ! Comme nos collègues anglais…

Non a l’augmentation de la productivité, oui à l’amélioration de la production dans le cadre du développement durable et de l’aménagement du territoire. Avec pour but une grande entreprise ferroviaire publique et intégrée. Ne laissons pas les technocrates à la botte du Medef et des libéraux européens démanteler notre outil de travail. La vraie richesse de l’entreprise ce sont les cheminots qui la font vivre.

Alors redevenons contestataires, revendicatifs et s’il le faut vindicatifs.

A voir ou à revoir, le film de Ken Loach : The Navigators. L’histoire édifiante de la privatisation du rail anglais, à travers la vie quotidienne d’une brigade de l’équipement. Les parallèles avec la situation à la SNCF sont surprenants.

Dijon, le 24 octobre 2002

VFLI : la filiale concurrente.

VFLI est spécialisée dans la gestion de réseaux ferroviaires industriels, la fourniture de prestations logistiques et l’exploitation de lignes. C’est une société anonyme contrôlée à 100% par le groupe SNCF. Elle maîtrise à travers ses filiales toute la chaîne de production du transport par rail, de la logistique à l’entretient, de la gestion à l’ingénierie. Alors que la SNCF diminue ses recrutement, la filiale VFLI est en pleine expansion : l’effectif est passé de 233 en 2000 à 312 en 2001. Pour en savoir plus : www.groupevfli.com