LES SALARIES PREFERERAIENT COTISER DAVANTAGE PLUTOT QUE TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS
Un sondage réalisé par l'institut CSA pour le compte de Liaisons sociales / Manpower et portant sur l'attitude des salariés à propos de l'avenir des retraites fournit des éléments de réflexion intéressants (voir Liaisons sociales Magazine - septembre 2001). Il n'a pourtant pas fait l'objet de beaucoup de commentaires dans la grande presse. Il est vrai que certains résultats contrarient le discours dominant qui n'envisage que des solutions régressives pour l'avenir des retraites. D'autres résultats témoignent de la perplexité des salariés voire de leurs contradictions. Bien sûr, il ne s'agit que d'un sondage, c'est à dire de l'état d'esprit des salariés à un moment donné, en fonction d'une certaine perception des rapports de force, état d'esprit susceptible d'évoluer sous l'effet des dynamiques et des mobilisations sociales. Pour nous syndicalistes, attachés à défendre l'avenir des régimes par répartition, il fournit d'utiles indications sur les débats à mener pour ne pas céder au discours libéral.
Une conscience des difficultés...
... qui ne conduit pas à accepter n'importe quoi.
La question des salariés les plus âgés.
A la recherche de l'équité entre public et privé
Une conscience des difficultés...
Les salariés sont conscients des problèmes. 85% d'entre eux sont inquiets pour le financement des régimes de retraite.
Cette inquiétude est aussi grande parmi les salariés du public que parmi ceux du privé et davantage chez les femmes (90 %) que chez les hommes (83 %).
Une réforme est donc jugée urgente par 92 % des salariés.
Là encore, les femmes sont plus nombreuses (95 %) que les hommes (89 %) à être sensibles à cette urgence. L'impatience est également plus forte chez les salariés les plus jeunes (95 % des 18-34 ans, 92 % des 3549 ans, 86 % au delà) et dans le secteur privé (93 % contre 89 % dans le public).
Sans doute faut-il voir dans l'ampleur de ces chiffres les résultats des campagnes alarmistes plus ou moins bien intentionnées auxquelles se sont livrés divers rapports mais aussi la presse, les banques, les compagnies d'assurances, etc.
... qui ne conduit pas à accepter n'importe quoi.
Alors que la plupart des rapports préconisaient
l'allongement de la durée d'activité et de cotisation comme solution au problème des retraites, il n'y a que 31 % des salariés qui partagent ce point de vue et ceux du privé (28 %) y sont encore moins enclins que ceux du public (33 %).Par contre, ils sont 54 % à être favorable à
l'augmentation des cotisations vieillesses payées par les salariés et les entreprises. Il n'y a que les cadres à être minoritaires (41 %) pour cette solution.Quant à la
baisse du montant des pensions pour équilibrer les comptes des régimes de retraite, elle est clairement rejetée : ils ne sont que 16 % à l'envisager.Cette attitude est à souligner
. En effet, depuis des années, tous les pseudo-experts à la solde du patronat et des milieux financiers s'évertuent à expliquer l'impossibilité d'augmenter les cotisations et à déclarer intangible le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits tel qu'il résulte des rapports de force des années chômage défavorables aux travailleurs (En clair, les salaires sont au maxi et les profits sont au mini!).Les salariés comprennent bien que l'allongement de la durée de cotisation requise pour toucher une pension à taux plein, dans un contexte de chômage maintenu, d'entrées tardives sur le marché du travail et de sorties anticipées, ne peut aboutir qu'à une dégradation des pensions servies.
C'est effectivement la solution hypocrite des libéraux
: augmenter la durée de cotisation dans un contexte de durée d'activité réduite permet de faire baisser les pensions pour équilibrer les régimes de retraites, d'éviter ainsi une augmentation des cotisations patronales, d'encourager le recours à la capitalisation.Vis-à-vis de l'allongement de la durée de cotisation, les cadres y sont plus favorables (44 %) que les employés (29 %) et les ouvriers (27 %) ; les sympathisants CFDT (40 %) plus que ceux de la CGT (27 %) et de FO (30 % ) ; les salariés proches de la droite plus que ceux qui se situent à gauche (39 % contre 31 %).
Par contre, la dramatisation entretenue sur l'avenir des retraites par
répartition semble avoir marqué les esprits en faveur d'une dose de capitalisation. 71 % des salariés (74 % dans le privé et 67 % dans le public) se déclarent favorables à la création de fonds de pension en complément des régimes par répartition. Les jeunes et les salariés des entreprises les plus petites y sont les plus favorables. L'idée que les financements orientés vers la capitalisation feront défaut pour consolider la répartition n'est pas perçue par les salariés.Haut de page
La question des salariés les plus âgés.
Cette réticence à l'allongement de la durée de cotisation est alimentée par le scepticisme des salariés sur l'attitude de leur entreprise vis-à-vis des salariés "âgés".
46 % ont le sentiment que leur entreprise cherche plutôt à se débarrasser des travailleurs les plus âgés, contre 37 % qui estiment au contraire qu'elle favorise leur maintien en activité, et 10 % qui constatent que leur entreprise ne compte pas de salariés vieillissants dans ses rangs.
Ce sentiment d'éviction est particulièrement fort dans les secteurs qui recourent le plus massivement aux préretraites.
Plus précisément, 45 % des salariés estiment que leur entreprise ne maintient pas de perspectives de carrière aux 50/60 ans, 52 % qu'elle ne forme plus les salariés de cet âge, 52 % qu'elle ne favorise pas les fins de carrière à temps partiel, 55 % qu'elle ne cherche pas à adapter les conditions de travail aux capacités physiques et psychiques.Le comportement des entreprises n'encourage guère les salariés à reculer leur départ à la retraite.
Entre cotiser plus pour avoir une meilleure retraite ou travailler moins longtemps quitte à avoir une pension moins élevée, 57 % des salariés sont prêts à un sacrifice financier pour mettre fin plus tôt à leur activité professionnelle. Seulement 39 % choisissent de cotiser plus longtemps dont, plus particulièrement les femmes, les plus jeunes et le personnel des petites entreprises.Le seul élément qui inciterait les salariés à travailler au-delà de l'âge actuel de départ à la retraite,
c'est la possibilité de transmettre leur savoir-faire aux plus jeunes : 65 % seraient prêts à travailler plus longtemps dans ces conditions. Mais ils ne sont que 40% à l'envisager si leur temps de travail hebdomadaire était fortement réduit, 35 % si leur travail était moins fatigant physiquement et nerveusement, 19 % si leur entreprise les faisait bénéficier de formations et de nouvelles perspectives de carrière.Enfin, une majorité de salariés (51 %) se déclarent prêts à mettre fin aux dispositifs de pré-retraites
. Les cadres (55 %) et les salariés des petites entreprises (58 % dans les entreprises de moins de 20 salariés) y sont les plus favorables. Les ouvriers (48 %) et les salariés des grandes entreprises(45 % dans les entreprises de plus de 500 salariés), traditionnellement davantage bénéficiaires des mesures d'âge, y sont moins favorables.
A la recherche de l'équité entre public et privé
La nécessité de traiter équitablement salariés du public et salariés du privé face à la retraite s'affirme avec force mais les modalités donnent lieu à une réponse ambiguë.
Ainsi, 77 % des salariés pensent nécessaires d'aligner les conditions de départ en retraite du public (37,5 ans) sur celles du privé (40 ans). Ils sont 87 % dans le privé et 59 % dans le public à penser ainsi. Les femmes, les ouvriers, les salariés les plus jeunes et ceux des entreprises les plus petites, les sympathisants CFDT et ceux de la droite sont les plus attachés à cet alignement.
Par contre, lorsqu'on demande aux mêmes salariés s'ils pensent réalistes de revenir à 37, 5 ans de cotisation dans le privé, ils sont 53 % à penser que oui (49 % dans le privé, 63 % dans le public). Les plus sceptiques quant à cette possibilité sont les cadres, les sympathisants CFDT et les proches de la droite.
Cette question indique donc le souci très net d'un traitement égalitaire des salariés devant la retraite
, mais le refus précédemment exprimé d'un allongement de la durée de cotisation et d'activité continue d'alimenter l'espoir d'une possible remise en cause de la réforme Balladur de 1993.Qu'il en soit encore ainsi, malgré l'incapacité des confédérations à se mobiliser en commun sur cette question est plutôt encourageant
.
Ces résultats confirment la possibilité de rassembler une majorité de salariés autour d'objectifs forts :
- garantir un niveau de pension rapporté au salaire d'activité,
- augmenter les ressources financières plutôt que la durée de cotisation,
- améliorer l'activité en fin de carrière,
- rechercher les conditions d'une équité public-privé.
La réforme à venir des retraites sera ce que la mobilisation sociale et les rapports de force permettront d'imposer face aux solutions libérales.
Haut de page